Dans mon enfance, j’étais comme le personnage mythique Kuafu qui aimait poursuivre des ombres, ou plus précisément, jouer avec les formes changeantes entre la lumière et l’ombre. Sous le Soleil du Midi en Chine, j’avais le sentiment de jouer temporairement avec une autre moi-même qui me suivait, qui partageait avec moi la joie et la tristesse. Mes propres ombres m’accompagnaient intimement, même si elles n’étaient pas toujours visibles, elles existaient comme une autre forme de mon existence. Si le mythe de Kuafu est moralement interprété comme l’insatisfaction du désir ou l’ignorance de la limite humaine, j’y vois au fond du cœur une dimension intime de la poursuite non seulement de la lumière et de l’ombre, mais aussi de la vie elle-même, voire d’une autre forme de vie.
En 2020, pendant la pandémie féroce qui a confiné le Monde, au jour de l’équinoxe du printemps, je me suis inspiré de mes expériences d’enfance de jouer avec mes ombres, et ai transformé cette poursuite des ombres en actes de peinture. Dans cet acte de peinture, je me suis exposée au Soleil, devant un papier vierge, j’ai levé une main en l’air en laissant son ombre se projeter sur le papier ; en même temps l’autre main, tenant un pinceau, cherchait à dessiner le contour de l’ombre de la main libre. Mais pendant l’action de dessiner le contour de l’ombre, la main au Soleil bougeait au hasard, ainsi son ombre est devenue fugitive, la main tenant le pinceau a dû continuer cette poursuite dans ces mouvements fugitifs. C’est dans ce jeu de fuir et de poursuivre des ombres que j’ai dessiné des formes éphémères, et ainsi, créé une image de mains s’enchevêtrant en cherchant la lumière solaire dans leurs propres ombres, comme une personne qui chercherait l’espoir dans cette catastrophe créée de ses propres mains.
Ce travail a été réalisé dans un temps spécifique, à l’équinoxe du printemps, au moment de la division égale de la lumière et de l’ombre sur la planète Terre. Cet acte de création été réalisé en conséquence au milieu de la lumière et de l’ombre. Mais l’essentiel de l’œuvre est-il simplement des formes des ombres tracées ? Certainement non. L’acte de tracer l’ombre est couramment considéré comme l’origine du dessin, des images. Cet acte opère entre l’invisible et le visible, entre l’absence et la présence, entre la mort et la vie, entre deux espaces-temps radicalement différents. Il constitue donc l’origine de l’acte de création.